[Pj] Neelia Thakur

Elle avait froid, surtout elle avait froid ! Malgré ses poumons prêts à éclater, malgré son bras droit qui la brûlait atrocement, ce qui la submergeait, c’était l’étau glacial de l’océan qui s’était refermée sur elle. Plus aucune sensation ne l’atteignait, l’obscurité et le silence la cernaient et elle ne souhaitait plus qu’une chose se laisser aller, mourir pour que le froid s’estompe. Son esprit l’emporta loin, vers la maison de ses parents à Mumbaï, là où le froid n’évoquait que la fraîcheur des nuits indiennes.
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C’était le jour de son départ. Bala, la servante de la maison, l’aidait à préparer ses derniers bagages. Son père s’était arrêté à l’entré de sa chambre et, de l’encadrure de la porte en bois précieux, il regardait, les yeux embués, sa princesse emballer et ranger dans une malle marquetée les livres de sa bibliothèque : « - Laisse nous, Bala. » Le ton était sec et autoritaire. Si Savitr Thakur passait pour un maître bon et généreux avec ses serviteurs, il n’en restait pas moins seigneur dans sa maison et ne faisait pas de sentiment avec les castes inférieurs. La servante s’inclina et se dirigea lentement vers une porte de service. Le père s’adressa en portugais à sa fille pour éviter de satisfaire les oreilles traînantes de la shudra : « - Tu vas me manquer mon Lotus. Sa voix était plus tremblante qu’il ne l’aurait souhaité.
- Père ! Vous allez me manquer aussi. Elle se pendit au cou de l’homme qui pour l’instant était au centre de sa vie. Mais vous savez qu’il faut que je m’en aille, mes recherches ne peuvent être cantonnées aux seules bibliothèques de Mumbaï.
- Je sais Lotus, mais la France est un pays si lointain… Il ne finit pas sa phrase mais enlaça sa fille en souriant. »
Il la connaissait bien sa princesse, son lotus, rien ne pourrait l’arrêter dans son entreprise et c’est aussi pour cela qu’il l’aimait et qu’il était aussi fière d’elle. Dans son coeur, il était même sûre qu’un jour Neelia Thakur serait une botaniste de renom.

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Cela ne dura que quelques dizaine de secondes, une minute tout au plus, avant que ses autres sens ne l’extirpent de sa morbide torpeur. Un son d’abord, une sorte de rugissement lointain qui en un instant était devenu aussi terrible que celui d’un tigre. Puis une lumière trop vive, d’un blanc ardent qui semblait enflammer le ciel. Elle sentit son corps engourdi rouler sur une plage humide, trempant ses vêtements et sa peau d’un sable gris et fin. Le froid était toujours là, il ne l’écrasait plus mais la mordait, la tranchait comme des lames. Elle le savait, elle allait mourir là, sur  une grève inconnue d’un rivage inconnu.

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Maître De La Brosse était dans le jardin à s’occuper des fleurs, elle accouru en jetant son tablier par dessus son épaule : « -Maître, maître… La missive du palais. Versaille nous envoie sa réponse… enfin.
Le vieux professeur leva une main en guise d’apaisement, la jeune fille se calma.
- Très bien Neelia. Alors ouvre la donc pour nous dire si le cabinet du Roy nous accorde ses faveurs. »
Fébrilement, la jeune femme décacheta la lettre, puis déplia le papier. Au fur et à mesure qu’elle parcourait les lignes, sont regard s’agrandissait rendant encore plus remarquable le bleu de ses yeux. Un sourire radieux naquit sur ses lèvres brunes, tandis qu’elle reglissait compulsivement une des mèches folles de ses cheveux noirs et épais derrière son oreille.
Ce sont les yeux larmoyant de joies qu’elle tendit la missive à Guy De La Brosse, premier surintendant du jardin du Roy : « - Je part le mois prochain pour les Amériques »

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Quelque chose en elle, un instinct primitif, comme une force animal se réveilla. C’était plus fort que tout, plus fort que sa fatigue, plus fort que le froid qui la transperçait. Cela semblait émaner de ses entrailles comme un feu intérieur qui brûlait… brûlait, faisant un contrepoint saisissant a ce froid qui semblait vouloir la tuer encore quelques seconde auparavant. Ce feu c’était la vie, la force ! Une force vive qui, empoignant son avant bras droit, la poussa à se mettre à quatre pattes. Alors l’eau qui restait dans ses poumons ressortit dans une douleur atroce, puis l’air pénétra à nouveau ses voies respiratoires. Elle l’aspira goulûment comme une assoiffée l’eau d’un puits.
Elle entendit un bruit, comme un grognement. Elle leva la tête pour voir, mais ses yeux étaient encore aveuglés par la lumière, la douleur et le sel. Elle ne distingua qu’une ombre, une silhouette humanoïde mais maladroite, gauche. Dans sa main droite elle devina une masse noire, une arme quelconque. Elle eu voulut se lever, elle eu voulut montrer à cette chose, quel qu'elle soit, qu’elle savait se battre, qu’elle avait appris l’art de la rapière à la cour de France. Mais déjà, ses forces l’abandonnaient, le feu n’avait pas duré, le froid revenait.
Elle tendit sa main droite mais se ravisa aussitôt dans un gémissement de douleur. Une brûlure, dont elle ignorait l’origine, courait sur tout son avant-bras lançant des décharges de douleur dès qu’elle le bougeait.
Elle s’écroula sur le dos. Qu’elle ironie, elle avait survécu à la tempête, au naufrage pour maintenant mourir des mains d’un naufrageur, un pilleur d’épave sans doute malade et dégénéré, primitif peut-être… Un nouveau bruit ! Un pas de course, un choc sourd et mat, puis le bruit caractéristique d’un corps s’écrasant sur le sol. Des pas se rapprochent, pas ceux hésitant du naufrageur non, des pas décidés. Elle ouvrit les yeux pour voir une silhouette penchée sur elle. Un manteau, un long manteau de cuir. Une voix de femme, plutôt aiguë et enjouée : « Hey ! Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici. Quelqu’un de vivant j’entends. »